Intoduction de projet

Ré/écrire le Tanger touristique

Remettre en question les récits urbains de visiteurs étrangers pour redonner voix aux citoyens

Jouissant d’une position stratégique, là où l’Europe et l’Afrique mais aussi la Méditerranée et l’Atlantique se rejoignent, Tanger est, depuis au moins l’époque romaine, une ville multiculturelle très convoitée[1]. Comme partout ailleurs, les conquêtes de Tanger se sont cependant faites de différentes manières : parfois par la force, mais également très souvent par d’autres biais. Ainsi Said, dans son ouvrage intitulé l’Orientalisme (1978), montre-t-il que la littérature et l’art sont des mécanismes de structuration et de contrôle ; de même, l’ouvrage de Nash, Le tourisme comme impérialisme (1989), attire l’attention sur la façon dont le tourisme incarne le pouvoir et peut être une forme d’appropriation. La mise en commun de ces thèmes fournit un terrain de recherche fertile dans une ville comme Tanger, terre de rencontres hybride, berceau de traditions littéraires et créatrices dépassant les frontières et centre touristique de renommée internationale.

Pistes et thèmes de recherche :

Le projet s’inspire de la réflexion de Tuan, pour qui « une ville peut être considérée comme une construction faite de mots autant que de pierres ». Pour ce faire, ce projet étudie les récits de voyage (au sens le plus large du terme) comme une force participant activement, un peu à l’image du marteau et de l’enclume, à la construction de l’environnement[2]. Plus spécifiquement, il se concentre sur le thème de la ville et des figures récurrentes qu’il génère dans les écrits de voyage de langue anglaise pour expliquer qu’ils ont joué un rôle très important dans le cas de Tanger. Dans un des schémas narratifs souvent utilisés pour la décrire, la ville est présentée de manière dichotomique, symbolisant d’une part la liberté, le mystère et l’intrigue et d’autre part le tumulte, le désordre et le déclin. Ce projet analyse et questionne ces récits en allant les chercher dans des sources variées et en s’appuyant sur une vaste période, pour tenter d’identifier et de critiquer les limites de ce genre littéraire. Plusieurs questions cruciales déjà identifiées sont : 1/ l’accent mis sur les descriptions de la ville par des étrangers lors de brèves visites 2/ l’intérêt et la nostalgie que suscite le passé colonial de la ville et 3/ la ville perçue comme « exotique » et profondément différente car, comme on l’entend souvent dire, « bien qu’elle ne soit qu’à une heure de ferry de l’Espagne, la ville semble être à la fois très loin de l’Europe… tout en se révélant presque totalement inconnue » (…introduction, pages non numérotées). Le projet cherche à contredire de tels discours, à transcender les analyses binaires et à promouvoir leur synthèse en donnant les moyens aux populations locales[3], en l’occurrence les étudiants de Tanger, d’étudier ces récits pour ensuite commencer à réécrire la ville à partir de leur point de vue d’habitants, tout ceci dans le contexte des grandes transformations qu’elle subit à l’heure actuelle.

Les questions centrales qui seront traitées sont les suivantes : quelles contributions les récits urbains de langue anglaise ont-ils apporté à l’élaboration de l’image de la ville de Tanger ? Quelles inexactitudes peuvent être repérées dans ces récits urbains ? Comment les voix citoyennes de Tanger peuvent-elles se faire entendre pour enrichir le genre ?



[1] Les origines de la ville et sa richesse culturelle sont étudiées dans Vaidon (1977). Cependant, une histoire revue et actualisée de la ville en anglais manque toujours.

[2] Voir aussi Pratt (1992).

[3] Le projet utilise le concept d’« autoethnographie », méthode qualitative que Pratt (1992) emprunte, pour l’extrapoler, à l’« ethnographie » de Geertz (1973). Citant Pratt, Butz et Busio (2004, p. 350) l’expliquent ainsi : « lorsque des membres de groupes colonisés…. se définissent par rapport à leurs colonisateurs… (en utilisant)… les termes des colonisateurs tout en restant fidèles à leurs propres représentations d’eux-mêmes ». Dans ce cas, c’est une rencontre post-coloniale et le media est le récit de voyage. En outre, Butz and Basio voient « deux responsabilités centrales » pour les chercheurs dans le domaine des représentations post-coloniales, « identifier et analyser les effets persistants du colonialisme, et contribuer à l’élaboration de méthodes qui réduisent à néant ces effets ».

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